A propos de Pour votre Bien
Compagnie Hippocampe - Création 2024
Texte de Jean-Marie Pradier
Quand les arts donnent vie au vivant, le spectateur s’en trouve restauré, serait-ce au prix d’une installation réussie de la peur, pour votre bien, louable intention. Au temps de la prolifération des images de l’effroi et des émotions les plus violentes dansant sur les écrans, la chair des humains se trouve réduite à des pixels, des brillances coloriées, des stéréotypes de pensée et de langue.
L’Hippocampe, et ses consorts qui jouent en live, sur scène corps présents, nous remettent les pieds dans les orteils, la tête sur les épaules et de l’émoi au cœur. En une heure et une vingtaine de minutes, la troupe bien en corps que dirige le franco-brésilien Luis Torreão, l’un des héritiers d’Etienne Decroux, nous entraîne dans un rêve le plus charnel que l’on puisse espérer, et un cauchemar enchanteur. Le dormeur immobile sur sa couche n’a pas la même chance, à moins de se réveiller en hurlant.
L’histoire est simple, décousue comme les chimères du sommeil et structurée avec la science du contrepoint. Au départ, une idée du romancier portugais Rui Barreira Zink, professeur de littérature et de théorie de l'édition à l'Universidade Nova de Lisbonne : coup de sonnette impérieux à la porte d’une femme vivant seule avec son enfant. Avec crainte, elle ouvre. Deux agents du gouvernement l’informent qu’ils viennent mettre en application la directive n°359/13 exigeant l’installation de la peur dans chaque foyer. A l’Hippocampe, les agents sont devenu.e.s Michel.les, des pop-up vivant.e.s. à perruque rousse, sanglé.e.s. en trench coat court couleur camel. Partant de l’étincelle romanesque du professeur, Luis Torreão et Dorothée Malfoy-Noël, historienne des champs de bataille, ont imaginé un feu d’artifice de saynètes éphémères qui chacune raconte une frousse, une frayeur, une terreur fontaine de trouille venue des contes de l’enfance, des récits inquiétants de l’adolescence, des phobies de l’âge adulte et des angoisses vieillissantes. Du méchant loup gourmand de petit chaperon rouge au divan du psychanalyste, il y a matière à frisson.
C’est enlevé, dansé, joué sur un rythme qui craque comme les pétards de la fête des temples avec une voix off qui raconte, et une voix in qui vient se mêler à une bande son jouissante composée par Kimmea – Déborah Paunot. Les accessoires volent de partout, étonnants, s’emballent avec précision, dans une lumière que Sébastien Tardon et Luis Torreão font savamment galoper de visage en maquillage, de masques aux objets. Dans un espace zig-zag Rachi Afsahi, Cosette Dubois, Dorothée Malfoy-Noël et Simon Pierzchlewicz nous emportent dans un songe véloce qui tient éveillé et captif, allègre et inquiet, ironique et pensif, favorisé par le destin. Quand la salle reprend son éclairage, vient l’envie de revenir à ce rêve.
Jean-Marie Pradier